HONDA PREPARE SA RIPOSTE

Début des années 70. La CB 750 "quatre pattes" vient de faire son apparition. Kawasaki répond bientôt en dévoilant la monstrueuse 900 Z1 (1972) à laquelle BMW oppose sa fameuse R90 S. Désert quelques années auparavant, le créneau des routières à vocation grand tourisme commence à s'étoffer et devient rapidement l'objet d'enjeux commerciaux importants, d'autant que le juteux marché américain se montre friand de telles machines. C'est dire si l'on attend avec impatience la réponse de Honda aux camouflets de ses concurrents ! Comme d'habitude chez le constructeur ailé, on se fait désirer. Suivant une politique qui se poursuit encore de nos jours, on prend son temps pour analyser le marché, la concurrence et le pourquoi du comment. En un mot, on veut êtresûr de faire mieux que les autres !
En 1972, les bureaux d'études travaillent d'arrache-pied sur celle qui devra s'imposer d'emblée comme la plus confortable, la plus pratique, la plus GT des GT. Une routière au superlatif.
Et il est vrai que les adjectifs ne manquent pas pour qualifier le prototype qui sort des bureaux d'études en 1973 : moteur 6 cylindres à plat refroidi par air, 1 470 cm3, environ 80 ch à 6 700 tr/mn, transmission finale par arbre et cardan, double frein à disque avant et tambour
arrière mais seulement 220 kg sur la balance. Une oeuvre probablement trop en avance sur son temps puisqu'elle ne dépassera jamais le stade du développement.
Près de 15 années plus tard, la GL 1500 fait un beau pied de nez à l'histoire avec son six cylindres à plat de
1 520 cm3 et sa transmission par cardan.

NAISSANCE D'UNE LEGENDE

Finalement, ce n'est que lors du Bol d'Or 1974 que les motards éberlués auront l'occasion de découvrir celle que Honda couvait depuis si longtemps: la GL 1000 K1.
Moins prétentieuse que le premier prototype, la GL1000 n'en est pas moins révolutionnaire sur bien des points. En premier lieu, sa conception d'ensemble et en particulier celle de son moteur l'apparente plus à une auto sur deux roues qu'à une authentique moto. Le propulseur est en effet un "flat four" 4 temps de 999 cm3 refroidi par eau, alimenté par un double carburateur de Ø 32 mm et qui développe 84 ch à 500 tr/mn pour un couple de 8,3 mkg à 6 500 tr/mn. On notera en passant que ce moteur fonctionne au super carburant et répond déjà aux normes antipollution de l'époque ! La transmission est confiée à une boîte 5 rapports et à un cardan, autre originalité pour une Japonaise du milieu des années 70.De son côté, la partie cycle se distingue par un système de freinage particulièrement complet : pas moins de trois disques à commande hydraulique. Un ensemble qui n'est toutefois pas superflu pour stopper les 295 kg de l'engin en ordre de marche. Mais au delà de ces caractéristiques techniques, c'est la somme d'astuces et de détails pratiques dont la GL1000 regorge qui font sensation. Tout d'abord, afin d'abaisser encore le centre de gravité, le réservoir d'essence a été déplacé sous la selle. Devenu inutile, le faux réservoir est devenu une véritable caverne d'Ali Baba.
Sur le dessus trouvent asile la jauge à essence et une trappe qui permet d'accéder à un espace de rangement. Mais il y a mieux: les flancs de ce "réservoir" s'ouvrent à la façon d'ailes de papillon et dissimulent la trousse à outils, le kick de secours et le vase d'expansion. Pratique! Dans le même esprit, on note le contacteur avec verrouillage de direction, le tableau de bord ultra complet, le starter au guidon. Impressionnante par ses caractéristiques, la GL 1000 l'est aussi en action. Sa maniabilité est remarquable pour une machine de ce poids à tandis que la douceur de sa sélection et de sa transmission font référence. Seule sa consommation élevée (entre 7 et 10 L/100 km) et son manque cruel de garde au sol dénotent au tableau mais ne suffiront pas changer le cours de l'histoire: la légende GoldWing est en marche !

EVOLUTION TIMIDE

Probablement occupés à d'autres tâches, les ingénieurs japonais ne toucheront plus à leur progéniture pendant plusieurs années. 1977 verra l'apparition du modèle K2 dont les évolutions se limitent à des points de détail. En fait, il faudra attendre 1978 (1979 en France) pour ressentir un battement de l'aile :
le modèle K3/K4 débarque avec sa ligne re-dessinée, ses roues à bâtons (type Comstar en tôle emboutie) et son instrumentation complétée. Modifications esthétiques mais aussi mécaniques:
le moteur annonce désormais 78 ch à 7 000 tr/mn, le couple restant inchangé mais disponible 1 000 tours plus bas. Parallèlement, le cadre est renforcé et la garde au sol augmentée grâce au montage de nouveaux échappements. Malheureusement, la GL 1000 K4 n'aura guère le temps de faire apprécier ses nouveaux charmes aux motards français arrivée trop tard sur le marché, elle se voit bientôt remplacée par une première véritable évolution, la GL 1100.

INFLUENCE AMERICAINNE

Désormais produite aux Etats-Unis afin de "coller" aux exigences de sa cible principale, la GL1100 D inaugure une nouvelle philosophie. En cette année 1979, l'esprit GoldWing se fait plus GT que jamais, sacrifiant les performances au confort, les quelques velléités sportives restantes au cruising. Pour ce faire, l'esthétique est très sensiblement modifiée, customisée. L'habillage est donc entièrement revu, du réservoir aux garde-boue, tandis qu'une selle double étage réglable remplace le modèle plat monté jusqu'alors. Les échappements sont désormais plus seyants et les chromes toujours aussi présents. D'un point de vue plus technique, les modifications sont également légion.
Le moteur est bien entendu le premier touché avec de nombreuses améliorations(allumage électronique, boîte de vitesses, équipage mobile...) mais surtout un, alésage augmenté de 3 mm. Le gros flat four affiche désormais 1 085 cm3 et une puissance de 85 ch à 7500 tr/mn.
Quant au couple dont les 1000 avaient toujours été jugées avares, il se fixe désormais à 9,2 mkg à 5500 tr/mn grâce en partie à l'adoption de nouveaux carburateurs. Côté partie cycle, les cotes du cadre et notamment l'angle de chasse changent dans le sens d'une plus grande stabilité alors que les suspensions et les freins donnent carrément dans le haut de gamme avec un ensemble oléopneumatique réglable et des étriers modifiés. Finalement, selon l'avis des principaux intéressés, la 1100 se révèle supérieure à sa devancière sur de nombreux points tels que le confort, la protection, l'agrément général... Mais en dépit de ses qualités reconnues, il manque toujours à la GL quelque chose d'indispensable, d'essentiel afin d'asseoir sa gloire montante: un carénage intégral !

ENFIN UN CARENAGE

GL 1100 DX

Heureusement, quelques mois plus tard (nous sommes désormais en 1980), le vide est comblé avec la GL 1100 DX qui va marquer le début d'un leadership que personne n'a pu venir contester jusqu'ici.
La bête en question est tout simplement une 1100 D dont l'équipement est optimisé par le montage d'un large carénage. Outre le confort en très nette progression, l'adoption du carénage entraîne le renforcement de l'aspect fonctionnel et pratique de la machine.
Plus que jamais, la GoldWing se veut conviviale: la capacité de chargement est multipliée grâce aux valises et au top case d'origine tandis que les astuces et automatismes se multiplient à l'image des suspensions ou du phare réglables à distance, de la trousse à outils ultra complète avec manomètre pour la pression des pneus.

LE LUXE TOUCHE AUSSI LA MOTO

ASPENCADE.

Attendue depuis de nombreuses années, cette nouvelle version connaît un succès immédiat. Au point que la GL classique (sans carénage) disparaît bientôt du catalogue Honda au profit d'une version encore plus complète de la DX, la fameuse Aspencade. C'est l'époque où les amateurs découvrent avec délice les bienfaits de la sophistication technique. Avec leur freinage intégral (disques ventilés avant et arrière couplés), leur système d'air conditionné, leur équipement radio K7 stéréo, leurs suspensions réglables par compresseur incorporé avec fourche anti-plongée, leur instrumentation digitale ultra complète, les GoldWing n'ont plus rien à envier aux grosses berlines automobiles en termes de luxe et d'agrément. Pourtant, cette surenchère n'est pas bénéfique sur tous les plans. Désormais plus lourde et plus massive mais toujours propulsée par le même flat four un peu avare en couple, la GoldWing en devient presque sous motorisée.

LE SUCCES DEVIENT PLANETAIRE

GL 1200 A et D

Conscient de cette lacune et sous la poussée d'une concurrence qui se fait de plus en plus pressante (Yamaha 1200 Venture, Kawasaki Voyager, Suzuki Cavalcade...), Honda va réagir en 1984.
A cette date, 10000 GoldWing ont déjà été vendues en France, toutes versions confondues. Au début de l'année, la GoldWing s'offre donc un lifting et prend le nom de GL 1200 A ou D suivant les versions. Premier concerné, le moteur qui annonce désormais 1182 cm3 et 9,4 ch à 7 000 tr/mn. Le couple est lui aussi en net progression avec 10,7 mkg à 5 000 tr/mn. Poursuivant toujours leur quête de "zéro souci", les techniciens ont profité de la refonte du moteur pour lui greffer un système de réglage hydraulique du jeu aux soupapes, supprimant ainsi les fastidieuses opérations d'entretien. Même démarche en ce qui concerne l'embrayage qui abandonne le câble au profit d'une commande hydraulique. L'autre modification d'importance porte sur la partie cycle et plus particulièrement sur les roues dont le diamètre est notablement diminué afin de rendre la machine plus accessible et plus maniable
(16 et 15" AV/AR contre 19/17 auparavant). Enfin, logiquement, l'équipement n'est pas en reste avec un carénage entièrement nouveau et encore plus protecteur, des bagages plus accueillants (sacoches de 38 litres, top case de 63 litres), une selle réglable, des clignotants à rappel automatique, des feux de détresse intégrés... Tous ceci sans compter les nombreuses options proposées ! Inutile de préciser que le succès de cette nouvelle version sera quasi planétaire.
Fin 1986, Honda annonce avec une fierté légitime le chiffre de 350 000 GoldWing vendues, dont 11 000 en France. Mais le meilleur restait à venir...

UNE CATHEDRALE SUR DEUX ROUES

GL 1500

En cette année 1988, lorsque la GL 1500 est dévoilée, les observateurs n'en croient pas leurs yeux. Déjà considérée comme un must au royaume des GT, la GL 1200 Aspencade se voit tout d'un coup reléguée au rang d'antiquité.
Et il est vrai que la nouvelle venue n'admet que les superlatifs.
Clef de voûte de cette véritable cathédrale sur deux roues, le moteur. Il s'agit tout simplement d'un six cylindres à plat de 1 520 cm3 refroidi par eau ! Outre le fait qu'il soit le plus gros moteur produit en série et l'un des plus lourds avec près de 120 kg sur la balance, ce bloc se distingue par une conception largement automobile, c'est-à-dire privilégiant la "rondeur" de fonctionnement, le couple et la longévité. Autant dire que les solutions techniques employées sont d'un niveau rarement atteint jusque-là. Ainsi, afin d'éliminer au maximum les vibrations, le vilebrequin est calé à 180° et utilise la technique des manetons décalés. Dans le même esprit de douceur et de régularité de fonctionnement, de nombreuses transmissions internes sont assurées par des pignons à taille hélicoïdale : primaire, alternateur, 5 éme rapport surmultiplié et transmission finale. La priorité n'étant pas aux performances, la distribution comporte un simple ACT par rangée et 2 soupapes par cylindre mais son entraînement est assuré par une courroie garantie à vie.
Le rattrapage des jeux aux soupapes est bien entendu hydraulique.
Mais le plus extraordinaire reste le traitement accordé à l'alimentation du six cylindres. Elle fait appel à deux carburateurs à dépression constante dont la gestion est assurée par l'électronique. Pour commencer, le collecteur d'admission et les carburateurs sont réchauffés par le liquide de refroidissement du moteur alors qu'un système d'admission d'air chaud (prélevé à l'échappement et envoyé vers le filtre) facilite la vaporisation du carburant dont le débit est régulé par une pompe de reprise. Tout ceci conduit à accroître la souplesse lorsque le moteur est froid. De la même façon, les variations de pression atmosphérique dues à l'altitude sont corrigées par un système de compensation. Enfin, le procédé inédit "Shot Air" envoie un volume d'air supplémentaire dans les collecteurs d'admission durant les phases de décélération afin de limiter le frein moteur et ajouter encore à la douceur de fonctionnement de la moto ! Au final, les performances revendiquées par cette mécanique au superlatif sont éloquents: 100 ch à 5 000 tr/mn mais aussi et surtout un couple de 15,3 mkg à 4 000 tr/mn!
Du jamais vu!
Plus classique, la partie cycle de la GL 1500 n'en est pas moins très complète également. Au cadre à structure double épine dorsale/double berceau s'ajoutent des suspensions particulièrement sophistiquées avec, à l'arrière, un amortisseur hydraulique classique à droite et une unité hydraulique à assistance pneumatique à gauche, l'ensemble étant bien entendu réglable à distance grâce au compresseur de bord (un affichage numérique au tableau de bord permet de contrôler la pression en permanence). A l'avant, la fourche hydraulique est dotée d'un système anti-plongée classique tandis que le freinage reprend le principe "intégral": La pédale de frein arrière commande l'étrier avant droit, le levier agissant quant à lui sur l'étrier gauche. Pêle-mêle, on note également le réservoir de 24 litres placé sous la selle pour abaisser le centre de gravité, la béquille centrale spécialement étudiée pour pouvoir être utilisée avec facilité, les pneus dont le profil privilégie la stabilité et la maniabilité...
Enfin, pour ne rien sacrifier à la philosophie GoldWing, l'équipement de la GL 1500 est le plus complet qui soit sur une machine de série.
Pour commencer avec une touche d'originalité, on note que le chef-d'oeuvre Honda est la première machine de série à recevoir une marche arrière. II faut dire que face aux 400 kg de l'engin avec les pleins, ce "gadget" devient rapidement une nécessité. Utilisant le moteur électrique du démarreur, un astucieux système de transmission permet de faire reculer la GL 1500 pendant 3 mn à la vitesse de 1,5 km/h . Largement de quoi affronter un faux plat ou s'extraire d'un stationnement contre un trottoir.
Toujours au chapitre des gadgets utiles, la GL 1500 reçoit également un "cruise control" qui permet de stabiliser la vitesse entre 80 et 130 km/h.
L'équipement audio, de très bonne facture, se double d'un réglage automatique du volume en fonction de la vitesse.
Côté habillage, indépendamment de la protection qui atteint des sommets, on enregistre le réglage du large pare brise sur 6 cm, le système de ventilation très élaboré avec arrivées d'air chaud ou froid, les multiples espaces de rangement disséminés autour de la machine, la possibilité d'installer deux haut-parleurs à l'arrière et la fermeture centralisée de l'ensemble sacoche/top case.
Détail témoignant du luxe régnant à bord de ce vaisseau, les sacs de voyage frappés du sigle GoldWing aux formes des trois coffres.